Mme LAUVERGEON, vos propos sont honteux mais venant de la coprésidente de l’institut du Bosphore organisme créé de toute pièce par la Turquie pour vanter les mérites de la Turquie, cela ne m’étonne pas.
Car quand même, il ne s’agit pas de la « séparation de l’ile de Chypre » mais bien l’occupation par la Turquie d’un pays membre de l’Union européenne avec lequel la Turquie a contrario du principe de solidarité européenne s’évertue depuis 1994 date de l’ouverture des négociations à ne vouloir entretenir aucune relation et à fermer les accès de ses ports et aéroports à Chypre alors qu’elle s’y était engagée.
De même il ne s’agit pas comme vous le dites d’un « ressentiment avec l’aggravation du conflit avec les kurdes » mais bien d’une guerre civile lancée et menée par l’Etat turc à l’encontre des populations civiles kurdes de l’Anatolie. Allez voir les exactions commises à Sur ou à Diyarbekir, les centaines de civils exécutés pour l’exemple, les maires élus démocratiquement de ces villes à majorité kurde, démis de leurs fonctions et remplacés par un fonctionnaire, allez voir tous ces militants kurdes emprisonnés dont les deux co-présidents du parti pro kurde HDP Salahattin Demirtas et Figen Yüksekdağ. Image-t-on que l’Europe puisse passer par perte et profit ses manquements, ces fautes démocratiques quand les leaders d’un parti qui a fait près de 30% des voix sont emprisonnés sans que l’on sache encore aujourd’hui pourquoi.
Vous parlez des purges, de l’emprisonnement ordonnés par Erdogan et de la censure exercée à l’encontre des journalistes opposant comme s’il s’agissait de quelques cas isolés. Non les arrestations se comptent par dizaines de milliers à tel point que l’on est obligé de faire sortir les droits communs des prisons pour y faire de la place. Les limogeages se comptent à plus de 100 000 personnes dans tous les domaines (éducation, santé, justice, armée, administration, université, diplomatie, entreprises), souvent sur simple dénonciation anonymes, souvent pour être remplacés par des fidèles de l’AKP. Tout cela Mme Lauvergeon n’est pas quantité négligeable sur lesquels on peut passer outre pour quelques contrats. Les journalistes français Guillaume Depardon et Loup Bureau, injustement emprisonnés, comme aujourd’hui près de 160 journalistes, sans que l’on sache réellement pourquoi, les dizaines de journaux fermés, les médias seront sensibles au peu de considération que vous éprouvez au fonctionnement normal d’une démocratie que la Turquie n’est plus.
Et si la Turquie n’est plus une démocratie alors elle n’a plus sa place en Europe. C’est aussi simple que cela Mme Lauvergeon. L’Europe n’est pas juste un marché où on fait des affaires, l’Europe c’est aussi des valeurs de démocratie, de respect des droits de l’homme, de respect de la dignité humaine, toute chose que nous n’avons pas en commun avec la Turquie de M. Erdogan.
Vous parlez d’insincérité européenne sur cette question de l’adhésion à l’union européenne mais l’insincérité n’est-elle pas plutôt du côté de M. Erdogan ? Vous évoquez ainsi le « défi majeur de la lutte contre le terrorisme ». Alors il serait bon de demander des comptes à M. Erdogan qui a soutenu, armé et formé le front Al Nosra (ex Al Quaida) en Syrie, alors que certaines régions de Turquie étaient clairement la base arrière de Daesh où ses soldats pouvaient se faire soigner au grand jour dans leurs tenues noires sans craindre la police et ce durant des années. Oubliez vous que des armes ont été distribuées aux djihadistes par les services secrets turcs et donc le gouvernement turc de M. Erdogan, comme l’a démontré Can Dundar et le journal Cumhuriyet avant d’être interdit pour avoir dévoiler un secret d’Etat. En matière de lutte contre le terrorisme Erdogan est-il une solution au plutôt un problème ? Poser la question est déjà y répondre comme vous dites !
Vous voulez parler de l’accueil des réfugiés, alors parlons de ses réfugiés yézidies du Sindjar pourchassés par Daesh et qui se sont fait tirer dessus par l’armée turque lorsqu’ils ont approché la frontière. Parlons des kurdes de Kobané qui eux ont fait le job face à Daesh et qui se faisaient tirer dessus par l’Armée turque.
Et vous osez conclure en vous référant à l’Histoire. Pour moi l’Histoire de la Turquie c’est celle du génocide des Arméniens et de sa négation par la Turquie depuis plus de 100 ans. Pour moi les valeurs de la Turquie ne sont pas celles de justice et de respect de la dignité humaine qui sont celles de l’Europe. Et tant que la Turquie n’aura pas fait face à son Histoire en reconnaissant et en réparant le crime commis contre le peuple arménien, elle sera toujours, contrairement à vous, une menace et pas une chance. Tant qu’il restera à Istanbul et ailleurs des rues et des mausolées à la gloire des perpétrateurs du génocide des Arméniens, tant que les Arméniens ou les autres minorités ne seront pas traités avec respect et dignité, personne ne pourra croire que la Turquie aura changé.
Par Harout Mardirossian
Président du Comité de Défense de la Cause Arménienne
Publié dans le Huffington Post, le 27 novembre 2017.