(haiastan.fr) «It’s heavy» (c’est lourd) lançait en plaisantant, Federica Mogherini, la haute représentante de l’Union Européenne pour les affaires étrangères, à l’issue de la signature officielle du nouvel accord de partenariat entre l’Union Européenne et l’Arménie, conclu le 24 novembre dernier à Bruxelles.
La chef de la diplomatie européenne, faisait sans doute allusion au poids physique du document signé (environ 350 pages), durant l’échange traditionnel des dossiers avec son homologue arménien, Edouard Nalbandian, sous les flashs des caméras et les applaudissements, pleins de satisfactions de Serzh Sargsyan et de Donald Tusk.
Dans un contexte différent, par « lourd » Mogherini aurait pu aussi évoquer le long chemin des négociations entre les deux parties, qui démarraient d’une façon laborieuse au lendemain du demi-tour tout aussi brusque qu’inattendu de l’Arménie, à quelques semaines de la signature d’un Accord d’Association et zone de libre-échange avec l’UE en 2013. Une désillusion. Il est inutile de rappeler le poids des pressions exercées sur le chef de l’Etat Arménien à l’époque, au point que ce dernier annonçait, depuis Moscou, le retrait arménien des négociations, pour rejoindre l’Union Economique Eurasiatique (UEE), une initiative russe, qui peine d’ailleurs à enregistrer des résultats positifs sur l’économie arménienne.
La déception était grande dans les couloirs du Parlement européen et de la Commission européenne, ainsi qu’auprès des membres de la diaspora arménienne en Europe. Car, non seulement l’Arménie repoussait des aides financières européennes qui devaient atteindre les 4 Milliards d’Euros, afin d’organiser un développement dans tous les secteurs y compris l’économie, l’emploi, les infrastructures, les droits de l’homme et le processus de la démocratisation du pays, mais elle restait surtout dans le groupe des 3 pays faisant partie du Partenariat oriental avec l’Azerbaïdjan et la Biélorussie, n’ayant aucun partenariat bilatéral avec l’UE, alors que les 3 autres (La Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie) démarraient des négociations dans ce sens.
Mais heureusement pour l’Arménie, l’UE a intérêt à avancer ses pions dans la région vis-à-vis de la Russie et d’accroitre son influence, du moins au niveau socio-culturel et idéologique dans les 6 pays du Partenariat oriental. Dès lors, les négociations ont repris entre les deux parties, cette fois-ci pour un accord d’une catégorie inférieure : l’Accord De Partenariat Global Et Renforcé (APGR), ou CEPA en anglais (Comprehensive and Enhanced Partnership Agreement).
L’occasion pour l’Arménie de devenir la première nation au monde ayant un accord de partenariat avec l’UE tout en étant membre de l’UEE. Compte tenu de la situation économique précaire du pays, c’est un avantage non négligeable, qui doit lui permettre de maximiser sa portée commerciale et fortifier ses intérêts politiques.
On peut penser donc, que pour l’Arménie cet accord se présente comme une deuxième chance, presque l’ultime, de se refaire une santé et d’entamer réellement le processus de développement socio-économique, vital pour la survie de notre peuple.
L’APGR a donc pour objectif, le renforcement du partenariat politique et économique entre l’Arménie et l’UE ; la contribution de celle-ci au renforcement de la démocratie et du développement politique, socio-économique et institutionnel en Arménie; le sauvegarde et la consolidation de la paix et la stabilité régionale ; la coopération en matière de liberté, de sécurité et de justice pour le respect de l’État de droit ainsi que les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
Mais le CEPA touche à tout. Du dialogue politique au règlement durable du conflit du Haut-Karabagh, en passant par les réformes internes, le renforcement des institutions, le rapprochement progressif de la législation arménienne à celle de l’Union européenne, le développement de la société civile, la réduction de la pauvreté, la lutte contre la corruption, la coopération commerciale, la modernisation de l’économie, les investissements, la concurrence et l’économie de marché, la bonne gouvernance fiscale, le domaine douanier, la coopération en matière de migration et d’asile, le dialogue sur la question de la libéralisation des visas, l’environnement, l’agriculture, le développement durable et l’utilisation de sources d’énergie renouvelables, la coopération dans le domaine de l’énergie, y compris la sûreté nucléaire, la santé et la sécurité publiques, les échanges dans les domaines de la science, de la technologie, des médias, de l’éducation, de la culture, de la jeunesse, du sport, du tourisme, de la lutte contre le terrorisme, du blanchiment de capitaux, des services bancaires et financiers, etc… L’UE souhaite définitivement jouer un rôle prédominant dans le redressement du pays.
Mais le plus lourd dans cette histoire ne reste-t-il pas la tâche des autorités arméniennes ? Car si nous ne doutons pas du sérieux de l’Europe dans le respect de sa part du contrat, nous mesurons les difficultés que la classe politique arménienne peut rencontrer dans la mise en application de certains points essentiels de l’accord. L’APGR sera-t-il (enfin) le début de la solution des fléaux comme la corruption, l’oligarchie, les monopoles et l’ingérence judiciaire ? Les courbes du pouvoir d’achat et de la pauvreté s’inverseront-elles? L’émigration verra-t-elle son taux diminuer ? Et enfin la justice sociale fera-t-elle à nouveau sa loi ? Un tas de questions dont les réponses seront liées uniquement à la volonté du pouvoir.
Dans tous les cas, l’Arménie aura l’obligation d’enregistrer des avancées dans les domaines cités, si elle souhaite traverser l’épreuve du monitoring de l’accord sans polémique, ainsi laisser la voie ouverte à de nouveaux accords dans l’avenir avec le partenaire européen.
Ici, le rôle de la FRA Dachnaktsoutioun est crucial. Étant le parti qui a la question de la justice sociale et de l’égalité des chances au cœur de son idéologie, faisant partie (ne serait-ce qu’avec 3 ministères) du gouvernement actuel et ayant eu un rôle majeure dans l’établissement de ce partenariat, via notamment le travail de la Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et Démocratie (FEAJD, qui est l’instance de la défense de la cause arménienne auprès des institutions Européennes et de la promotion de la diplomatie interparlementaire entre l’Arménie et l’Europe), la FRA aura la lourde tâche de s’assurer de la mise en application correcte de l’accord, ou dans le cas contraire, d’exercer une pression sur la force politique majoritaire du gouvernement.
Harout Chirinian
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