Nouvelle ère, nouvelles conquêtes, par Jules Boyadjian membre du Conseil d’administration du CDCA

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(NOUVELLES D’ARMÉNIE) Le second tour des élections législatives qui s’est déroulé le 18 juin dernier est venu clôturer une période d’une très grande intensité politique qui aura été marquée par l’élection d’un Président à l’ascension fulgurante, l’avènement à l’Assemblée nationale d’une nouvelle formation politique, majoritaire, et ayant réussi un renouvellement historique du personnel politique, et à l’inverse, la mise au ban de deux Présidents de la République (dont un en activité), de trois premiers Ministres et des deux principales formations politiques qui ont animé, sous une forme ou sous une autre, la vie politique de ces quarante dernières années.

C’est aussi l’heure du bilan pour les militants de la cause arménienne.

Durant cette période, nous avons, tout d’abord, compris que la loi du 29 janvier 2001 était une loi de reconnaissance du génocide arménien qui ne suffisait pas à faire sauter le verrou du mensonge sur la réalité de 1915.

Toutes ces années furent nécessaires pour que la mémoire du génocide arménien pénètre le discours universaliste de la France. Un bond de géant qui conduisit le Président de la République, en janvier 2014, lors d’un voyage officiel en Turquie, à rencontrer, dans un geste à forte puissance symbolique, Rakel Dink, veuve du grand Hrant et garante de son combat ; qui conduisit ce même Président à s’inviter en Arménie pour la centième commémoration du génocide arménien ; qui eut pour effet d’engager la France aux côtés de la Suisse et de l’Arménie dans leur combat face à Dogu Perincek, incarnation la plus insupportable de l’exportation du négationnisme en Europe ; ou à faire des commémorations du 24 avril, un événement de portée nationale.

Un bond de géant saisi par l’un des plus grands historiens de l’affaire Dreyfus, Vincent Duclert, qui, après avoir mis tant d’énergie à démontrer le caractère décisif de la victoire des Dreyfusards dans l’avènement durable de la République, établit, sans équivoque, dans un ouvrage de référence[1], le lien entre Dreyfusards et participants au mouvement Pro Armenia de la fin du 19ème siècle, replaçant dans un même élan, les revendications légitimes des Arméniens dans le récit républicain ; historien dont il convient de préciser qu’il fut placé, par la Ministre de l’Education nationale en octobre 2016, à la tête d’une mission d’étude internationale et interdisciplinaire sur l’étude des génocides et crimes de masse.

Un bond de géant, qui conduisit l’Assemblée nationale et le Sénat à voter à plusieurs reprises la pénalisation du négationnisme du génocide arménien.

Si rien n’atténuera la déception provoquée à deux reprises par les décisions du Conseil Constitutionnel, dont il appartiendra aux défenseurs de la cause arménienne de démontrer les funestes limites devant les tribunaux, chacun doit prendre la pleine mesure de ce que signifie pour les descendants du génocide la réhabilitation de leur histoire dans la mémoire collective.

Dans ce pays, où le chef de l’Etat préside aux destinées de la nation, cet avènement n’aurait pu être possible sans un engagement de nos dirigeants à qui il serait honnête de rendre hommage. D’abord Nicolas Sarkozy, qui, après avoir été très hostile à ces sujets, au point de faire voter le Sénat contre la pénalisation du négationnisme, fit un spectaculairement revirement qui le conduisit à s’inviter à l’inauguration des commémorations du génocide arménien en 2012, puis à François Hollande, qui institutionnalisa la question arménienne dans l’agenda politique français.

Il y a toujours lieu d’ergoter ou de mégoter, de regretter que sous la Présidence de Nicolas Sarkozy douze chapitres aient été ouverts dans le cadre des négociations d’adhésion de l’Union européenne avec la Turquie, sans progrès significatifs sur la situation des Droits de l’Homme, que François Hollande ait de son côté ouvert un autre chapitre et ne se soit pas opposé à Angela Merkel, lorsque celle-ci, débordée par l’afflux de réfugiés, céda aux désidératas d’Erdogan. On peut aussi considérer lucidement, sans ne rien perdre de notre capacité de nous indigner ou de nous révolter, que le négationnisme a la vie dure en France et qu’il y a de solides raisons pour les descendants des victimes du génocide arménien, de se sentir mieux en tant que Français, alors même que tant de nos concitoyens s’interrogent sur leur lien avec la République, que les questions d’identité sont chaque jours plus prégnantes et que le repli sur soi se diffuse largement.

Parmi les raisons d’enrager, il y a bien naturellement le Haut-Karabakh, où l’équilibre des forces n’est pas satisfaisant. Le rapport de Jean-Louis DESTANS, de la Missions d’information présidée par François ROCHEBLOINE, sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud Caucase, constitue une contribution heureuse au débat comme le fut l’apport durant cinq ans de la délégation française au Conseil de l’Europe, conduite par René ROUQUET. Mais la diplomatie, placée hors de tout contrôle politique, entraîne des errements que les peuples ne supportent plus, et qui, trop souvent, alimentent les théories du complot, aboutissant in fine à une perte de l’authenticité de la parole française et de son influence dans le monde. Sur le Haut-Karabakh nous subissons très précisément ce phénomène. L’enjeu, pour les défenseurs de la cause arménienne, sera de réintroduire cette question, comme un déterminant de la diplomatie française, et à cette fin, impliquer le Président de la République.

Il y a lieu enfin de prendre la mesure de la nouvelle donne politique et de le faire avec discernement. Le mouvement d’Emmanuel MACRON, La République en Marche, s’est constitué autour d’un projet, incarné par un candidat et avec l’ambition de s’attaquer à toutes les rentes, en particulier les rentes politiques et leurs rentiers si insusceptibles d’intégrer de nouveaux profils, aux origines différentes, aux parcours distincts, aux récits personnels plus métissés. Les Français ont approuvé ce grand changement politique et ont donné vie à une véritable bouffée d’oxygène dont notre démocratie avait tant besoin. Plusieurs Français d’origine arménienne, aux parcours divers, certains très investis dans la cause arménienne, ont traduit leur engagement par leur implication jusque lors des élections législatives. Il convient de s’en réjouir, l’implication publique et politique est la phase ultime de l’intégration, tout en ayant conscience que rien n’aurait été possible sans cette nouvelle donne politique permise par l’élection d’Emmanuel MACRON.

Parmi ces candidatures, deux furent particulièrement scrutées en ce qu’elles concernaient des personnalités identifiées en vertu de leurs implications dans la cause arménienne : Danièle CAZARIAN, Présidente du Centre National de la Mémoire Arménienne (CNMA) dans la 13ème circonscription du Rhône et Pascal CHAMASSIAN, Secrétaire Général du CCAF et candidat dans la 1ère circonscription des Bouches-du-Rhône. Deux candidatures qui, par-delà les commentaires qui se sont diffusés çà et là doivent être regardés à l’aune des résultats nationaux, afin de bien apprécier le message des électeurs qui nous interpelle forcément collectivement en raison des responsabilités assumées par les uns et les autres.

Dans la treizième circonscription du Rhône, Danièle CAZARIAN affrontait Philippe MEUNIER, élu en 2012 avec 59% des suffrages face à la candidate du parti du Président de la République d’alors. La candidature de cette ancienne Présidente du CNMA a naturellement suscité l’enthousiasme des associations de défense de la cause arménienne, d’autant plus que le candidat à sa réélection Philippe MEUNIER, qui n’a pas voté l’amendement relatif à la pénalisation du négationnisme, pas plus qu’il ne s’est engagé sur la question du Haut-Karabakh comme en atteste son refus de signer l’appel initié par le CDCA[i], n’a pas répondu favorablement à leurs sollicitations durant son mandat. Celle-ci l’a emporté avec 52,35% des suffrages. Certes, la « vague » en faveur du Président nouvellement élu fut plus importante qu’en 2012. Pour autant, parmi les Républicains candidats à leur réélection, il convient de constater que seul Philippe GOUJON a été battu par un candidat La République En Marche après avoir été élu à plus de 59% cinq ans plus tôt face à un candidat issu du Parti socialiste bénéficiant donc de l’effet de souffle de la victoire de François HOLLANDE. Si l’on ajoute à cela le fait que la comparaison doit être très largement nuancée par le très fort taux de renouvellement de la population des circonscriptions parisiennes, dont Philippe GOUJON est élu, on mesure l’ampleur de l’engouement suscité par la candidature de Danièle CAZARIAN.

A l’inverse, Pascal CHAMASSIAN a échoué à ravir le siège de Valérie BOYER, laquelle faisait pourtant partie des députés Les Républicains les moins bien élus en 2012 avec seulement 50,65%. Valérie BOYER fait d’ailleurs partie des très rares candidat(e)s Les Républicains à avoir été réélue après avoir arraché sa victoire en 2012 face à un candidat issu des rangs du parti du Président. Ils sont à peine six à avoir reconquis leur siège après l’avoir emporté à moins de 51,5% en 2012, tout juste quatre si l’on abaisse la barre à 51%. Valérie BOYER s’est même payée le luxe d’accroître sensiblement sa victoire en passant de 50,60% à 55,10%. Au-delà de son aspect forcément difficile, ce constat doit conduire à une forme d’autocritique.

Car comment ne pas voir dans ce qui apparaît au niveau national comme une « anomalie », l’effet d’une greffe qui a visiblement mal pris et qui, à tout le moins, fut mal comprise, face à une députée qui suscite l’admiration en raison de son combat pour la cause arménienne ? Combien de silences gênés de la part de dirigeants associatifs ou simples membres de la communauté lorsque la candidature de l’ancien Secrétaire général du CCAF était évoquée, silences qui se concluaient si souvent par les mots « c’eut été quand même mieux ailleurs » ? Et en même temps, imagine-t-on une seule seconde un dirigeant du CRIF se présenter contre Jean-Claude GAYSSOT… lui qui affrontait, à l’époque, dans ses seconds tours, l’extrême droite aux relents antisémites des années 90…

Et puis il y a le contexte de tension qui s’est emparé de cette confrontation. Bien entendu, il n’est nullement question de mettre en débat la détermination ou les intentions de l’impétrant, ni d’adopter une approche communautaire : un Français d’origine arménienne peut parfaitement s’engager dans une bataille électorale contre une personnalité qui s’est engagée en faveur de la question arménienne. Mais comment se fait-il que l’on puisse en appeler à la maturité républicaine lorsqu’il s’agit d’accepter le bienfondé de ce type de candidature et dans le même temps instruire d’obscures procès en « posture du passé, relevant de la Guerre froide » lorsque des associations prennent parti par-delà les approches patronymiques. Souffrez que les plus anciennes organisations de défense de la cause arménienne, au nom d’une loyauté qu’elles portent dans leurs gènes, comme une certaine conception de leur engagement qui les honore, puissent apporter tout leur soutien à une personnalité qui s’est distinguée par un engagement d’une rare intensité en faveur de la pénalisation du négationnisme du génocide arménien au point de recueillir intimidations politiques et menaces de mort. Force est de constater que celles-ci ont d’ailleurs été suivies par les électeurs.

Quoiqu’il en soit, certains observeront avec scepticisme l’élection d’Emmanuel MACRON, rompant avec des personnalités expérimentées et par là-même sensibilisées aux enjeux inhérents de la question arménienne ainsi qu’à l’indignation qui s’empare de quiconque s’y frotte. D’autres accueilleront avec enthousiasme, l’élection d’un Président qui n’avait que 24 ans, lorsque la France reconnaissait le génocide arménien, un Président qui a su donner leur chance à des candidats nouveaux, un Président ouvert sur le monde, comme le sont les descendants des peuples déracinés, et qui démontre un attachement à une Europe politiquement puissante, la seule permettant de tenir un échange politique avec la Turquie. Réponse dans les prochains mois.

Jules Boyadjian
Membre du Conseil d’administration du CDCA