Quel beau symbole!

Actualité

(CDCA France) Le jour du vote solennel au Sénat de l’article introduisant la pénalisation des génocide et des Crimes contre l’Humanité, la ministre de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Najat Vallaud-Belkacem, a officiellement installé mardi 18 octobre une mission d’étude sur les génocides et les crimes de masse, afin d’en « favoriser la compréhension » et lutter contre le négationnisme et le révisionnisme.

Cette mission, lancée un an après les commémorations du centenaire du génocide arménien, a été confiée à l’historien Vincent Duclert, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et inspecteur général de l’Éducation nationale. Vincent Duclert membre du CSI est également l’auteur d’ouvrages remarqués sur le génocides des Arméniens. Il a participé en novembre 2014 au colloque du CDCA sur les cent ans de Jaures et les 100 ans du génocide des Arméniens qui s’est tenu à l’Assemblée Nationale.

Il prend la tête d’une équipe de 46 personnes, de douze nationalités différentes, aux profils variés: chercheurs en histoire, sociologie ou anthropologie, professeurs du secondaire et du supérieur, juristes, journalistes ou psychanalystes.

Cette équipe cosmopolite est chargée d’établir « un état des lieux de la recherche » sur les génocides et les crimes de masse, afin d’en « favoriser la compréhension » et d’envisager de « nouvelles formes de prévention« . Elle devra rendre ses conclusions d’ici un an.

Développer la connaissance des génocides et des crimes de masse, punir les négateurs des génocides, la France prend le leadership du combat pour la défense de la dignité humaine.

Installation de la mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse – Discours

(najat-vallaud-belkacem.com) La ministre de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Najat Vallaud-Belkacem, a officiellement installé mardi une mission d’étude sur les génocides et les crimes de masse, afin d’en « favoriser la compréhension » et lutter contre le négationnisme et le révisionnisme.

Cette mission, lancée un an après les commémorations du centenaire du génocide arménien, a été confiée à l’historien Vincent Duclert, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et inspecteur général de l’Éducation nationale.

Il prend la tête d’une équipe de 46 personnes, de douze nationalités différentes, aux profils variés: chercheurs en histoire, sociologie ou anthropologie, professeurs du secondaire et du supérieur, juristes, journalistes ou psychanalystes.

Cette équipe cosmopolite est chargée d’établir « un état des lieux de la recherche » sur les génocides et les crimes de masse, afin d’en « favoriser la compréhension » et d’envisager de « nouvelles formes de prévention« . Elle devra rendre ses conclusions d’ici un an.

Citant le philosophe Paul Ricœur, Najat Vallaud-Belkacem a expliqué vouloir mener « une politique de la juste mémoire« . Dans une « période inédite, où le révisionnisme et le négationnisme sont des réalités qui prospèrent« , la ministre a insisté sur « l’exigence de transmission du passé« , au nom du « combat contre l’oubli« . Pour Najat Vallaud-Belkacem, cette mission permettra notamment de « mieux former les professeurs pour aborder les sujets les plus sensibles qui soit« .

Retrouvez ici le texte du discours prononcé par Najat Vallaud-Belkacem lors de l’installation de la Mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse :

Monsieur le Président de la Mission d’étude en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse, cher Vincent Duclert,
Mesdames et messieurs les membres de la Mission,
Mesdames et messieurs,

« Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations et des abus de mémoire et d’oubli. L’idée d’une politique de la juste mémoire est à cet égard un de mes thèmes civiques avoués. »

Ces mots ne sont pas les miens. Peut-être aurez-vous reconnu dans cette citation les mots de Paul Ricœur, qui ouvrent son œuvre « La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli ».

Ces mots me reviennent à l’esprit, au moment d’installer la mission d’étude et de recherche sur l’enseignement, en France, des crimes de masse et des génocides.

Dans le sillon de ses travaux sur les notions de vérité en histoire, le philosophe entendait clarifier la situation sur ces deux dimensions – la mémoire et l’histoire – pour mieux les penser ensemble.

Je sais combien de controverses et de réflexions ont pu nourrir les débats des historiens et des intellectuels sur le rapport entre ces deux dimensions.

C’est cette question qu’abordait Pierre Nora dans son ouvrage célèbre sur les lieux de Mémoire, quand il écrivait : « l’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. La mémoire, elle, est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel. »

Ces réflexions elles-mêmes restent d’une profonde actualité. Elles ne sont pas passées. Elles constituent une source d’inspiration pour les universitaires, les chercheurs, les penseurs et pour tous ceux qu’interrogent la marche du monde et l’évolution de nos sociétés contemporaines. Et elles doivent aussi inspirer et nourrir la réflexion des responsables politiques.

« Une politique de la juste mémoire » : ces mots de Paul Ricœur, je veux les faire miens.

Oui, j’assume la responsabilité et l’ambition qui ont donné lieu à cette mission que j’ai annoncée le 25 mars 2015, en Sorbonne, à l’occasion du colloque que nous organisions sur le centenaire du génocide des Arméniens.

Et en évoquant le génocide des Arméniens, nous voyons clairement l’intérêt qu’il y a à opposer, aux conflits mémoriels actuels, le travail rigoureux et précieux des historiens.

La mémoire du passé est partout présente.

Conflictuelle, rarement apaisée, parfois confisquée à des fins partisanes, elle peut devenir une arme redoutable à l’encontre même de nos démocraties.

L’ampleur des conflits mémoriels ne peut qu’interroger nos sociétés européennes. Elles qui, après la Seconde Guerre mondiale, ont affirmé leur volonté de combattre l’oubli pour ne pas rejouer les crimes du passé.

C’est au nom de ce même combat contre l’oubli que nos sociétés sont confrontées à une exigence de transmission du passé, de tous les passés, toujours plus affirmée.

Esclavage, colonisation, guerres d’indépendance : autour de ces questions légitimes se livrent trop souvent des guerre des mémoires, non dénuées parfois de revendications identitaires.

« Guerre des mémoires », « concurrence des mémoires », « deux-poids-deux-mesures » : la confusion profonde qui s’est emparée des débats de nos sociétés n’épargnent ni nos écoles, ni nos universités.

Cette confusion engage notre responsabilité collective.

Elle nous invite à repenser ces deux dimensions – histoire et mémoire – dans un rapport de complémentarité, voire de solidarité.

Elle nous invite surtout à clarifier la situation, sans esprit partisan, avec la seule volonté d’aborder ce que Pierre NORA diagnostiquait il y a dix ans comme un « malaise dans l’identité historique ».

Il évoquait par là une crise profonde d’horizon historique pour notre commune humanité : c’est là l’enjeu qui nous rassemble aujourd’hui et qui nourrit votre mission que nous accueillons au ministère pour son installation mais aussi pour le lancement de ses travaux.

Une mission que j’ai souhaité confier à des historiens, mais aussi à des chercheurs d’autres disciplines : des philosophes, des sociologues, des anthropologues, des juristes.

Et parce que cette mission porte autant sur la recherche que sur l’enseignement, j’ai souhaité que l’on trouve aussi bien des professeurs de l’enseignement supérieur, des chercheurs, et des enseignants du second degré.

C’est à la croisée de vos regards et au carrefour des disciplines, que s’appréhende le mieux la complexité des faits passés.

Une « politique de la juste mémoire », ne saurait instrumentaliser le travail des historiens et de tous ceux qui, avec eux, réfléchissent à la transmission du passé.

Ce serait subordonner le passé au présent. Ce serait n’envisager le passé que pour rechercher des réponses toutes faites aux crises du présent.

Ces réponses seraient forcément tronquées ou incomplètes face à la complexité de l’histoire.

Dans la lettre de mission que j’ai adressée à Vincent DUCLERT – que je remercie pour son implication – j’ai rappelé l’impératif d’établir un état des lieux de la recherche et de l’enseignement sur les génocides ; de mobiliser les communautés scientifiques et enseignantes, pour faire avancer la connaissance sur les crimes de masse, dans une perspective comparatiste et une compréhension globale du phénomène.

Annoncée à l’occasion d’un colloque sur un siècle de recherche organisé pour le centenaire du génocide de 1915, cette mission intervient dans un contexte particulièrement grave.

Nous sentons bien les risques et les périls qui pèsent sur notre société.

La montée des nationalismes et des populismes en Europe et ailleurs dans le monde augmentent sans cesse les tentatives de réécriture de l’histoire.

Alors, évidemment, ces entreprises de falsification ou de distorsion de l’histoire ont toujours existé.

A Lyon, ville que je connais bien, je sais ce que fut le rôle des historiens pour faire la lumière sur les pratiques négationnistes qui avaient terni jusqu’au nom de l’université Jean Moulin – Lyon III.

Et je veux saluer Henry Rousso, ainsi qu’Annette Becker, qui furent aux avant-postes de ce travail initié par mon prédécesseur Jack Lang.

Mais nous vivons une période inédite depuis la fin de la Seconde guerre mondiale : l’instrumentalisation du passé, le révisionnisme, le négationnisme aussi, ne sont pas que des tentatives ou des tentations.

Ce sont aujourd’hui des réalités, qui prospèrent sur l’essor du complotisme.

Dans une période comme la nôtre, où, pour reprendre les mots de Fernand Braudel, « le passé intervient dans le présent, [il] le « brûle » », le rôle de l’historien prend donc une importance particulièrement marquée.

Oui, nous avons besoin des historiens pour éclairer nos concitoyens sur les débats de notre pays.

Nous avons besoin des historiens pour éclaircir les faits du passé sans cesse malmenés, déformés, utilisés à des fins partisanes.

Nous avons besoin des historiens contrer toutes formes de relativisme et d’accommodements avec la vérité qui se propagent dans nos sociétés.

Nous avons besoin des historiens pour lutter contre les théories du complot qui s’exonèrent des frontières pour se diffuser à l’échelle planétaire.

C’est par l’Histoire que s’acquiert la distance nécessaire à l’élaboration des connaissances. C’est par l’Histoire que se forme un esprit critique, sans lequel aucune citoyenneté véritable n’est possible.

C’est la raison pour laquelle j’ai voulu l’installation de cette mission au sein même du ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Le choix de ce lieu exprime l’attention toute particulière que je porte à cette mission, aux réflexions, aux travaux et aux conclusions qui en ressortiront et qui vous mobilisent.

Cette mission établira un bilan de l’état des études menées tant en France qu’à l’étranger sur le thème des génocides et des crimes de masse.

Je vous ai confié la conduite de ces travaux avec un objectif de publication que combleront le rapport d’étape et le rapport final que nous diffuserons largement.

Le résultat de ces travaux servira aux professeurs, aux chercheurs, à la communauté éducative dans sa plus large acception et au-delà, à tous ceux qui désirent connaître l’avancement des études et des recherches sur ce sujet.

J’ai souhaité que mon ministère s’engage et mobilise les moyens qui s’imposaient. Je suis sensible à l’appui apporté par l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à cette initiative pour la recherche et pour la formation.

Votre mission a d’ores et déjà en partie réussi.

Sa composition reflète en effet les différentes approches par lesquelles les historiens et les chercheurs en sciences humaines abordent ces sujets.

Elle respecte l’exigence de parité et de variété des générations.

Elle restitue la diversité de nos écoles et de nos institutions françaises tout en intégrant des chercheurs de douze pays, afin d’élargir vos travaux à une audience européenne et internationale.

Ce ne sont pas seulement des recherches de haut niveau qui vont êtes produites : ce sont aussi des connaissances nouvelles, des ressources disponibles en matière de fonds documentaires, d’archives, de sites patrimoniaux.

Ce sera également une cartographie précise des équipes de recherche, des lieux où s’étudient les phénomènes de violence massive sous toutes ses formes, aussi bien à travers les études historiques qu’en mobilisant les sciences sociales.

Ce sont au terme de vos travaux de nouvelles perspectives qui s’ouvriront pour la recherche, l’enseignement et l’éducation, et donc pour l’École, et pour nos élèves.

La violence présente pèse sur les esprits. Se confronter avec rigueur et lucidité aux atrocités passées doit nous permettre de mieux répondre aux enjeux présents.

Non parce que le passé pourrait être utilisé comme un baume apaisant ou comme une recette miracle.

Mais parce que la compréhension et l’étude des mécanismes qui ont nourri les logiques génocidaires d’hier, peuvent nous éclairer sur les phénomènes et les comportements présents.

Ils peuvent aussi nous aider à mieux former les professeurs pour aborder, en classe, avec leurs élèves, les sujets les plus sensibles.

Il est de notre responsabilité, en tant qu’institution, de ne pas tomber dans le piège d’une histoire idéalisée, enjolivée, hagiographique.

D’une part car ce serait trahir le sens même d’histoire, qui, comme son nom nous le rappelle, est d’abord une enquête, et non je ne sais quel roman.

D’autre part, car les catastrophes et les épisodes les plus sanglants de l’humanité font partie, qu’on le veuille ou non, de notre histoire.

Une Histoire, et cela fait également partie des enjeux de cette mission, qui se pense et se mène différemment quand elle aborde le passé le plus récent. Les sources comme les pratiques évoluent.

La révolution numérique, n’a, c’est heureux, pas qu’inspiré le renouveau des théories complotistes. Elle contribue aussi à faire évoluer les pratiques des chercheurs, leur donne de nouveaux outils, aussi bien dans la conduite de leurs recherches que dans leur diffusion.

Une Histoire, enfin, qui dépasse largement l’histoire de ce pays.

Cette mission, c’est le témoignage de la volonté de notre pays, de réfléchir avec ses chercheurs, ses professeurs et ses intellectuels sur une question qui intéresse l’Europe et l’humanité.

Tel est le sens, au sein de cette Mission, de la présence de personnalités étrangères. Tel est aussi l’enjeu du travail d’auditions qui sera réalisé dès aujourd’hui et tout au long de l’année.

Par cette mission, nous nous montrons à la hauteur de ce « devoir de connaissance » qu’invoque François Bédarida.

Un devoir, je le cite, « constitutif d’un savoir, seul apte à construire une mémoire vraie ».

Un devoir qui doit nous permettre d’envisager non seulement l’avenir, mais le passé, avec une certaine sérénité.

Cette sérénité n’est pas une naïveté.

Cette sérénité est celle qu’engendre une appréhension rigoureuse et critique de ce passé qui trop souvent exacerbe les passions présentes, quand il devrait au contraire nous inspirer pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain.

Car comme l’écrivait Marc Bloch, « L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même. »

Je vous remercie.

Najat Vallaud-Belkacem,
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche